Une vie de chien malade
Tout te semble loin, hors de portée, perdu définitivement pour tes faibles
moyens. Tu te sens une humeur de valet, de trompe-l’œil, de
rince-doigts et de trousseau de toilette. Rien à vrai dire, une
mauvaise position, infime dans son ampleur, sur le manche du violon et tout est faussé. Que de blagounettes,
de pirouettes, de chansonnettes répétées de mille façons, mais
sans aucun sens. Que d'édifices ridicules ! Ils finissent par
tuer...
Tu survis et tu vis dans l'attente d'une chose négative, presque vomitive, qui te laissera juste le temps de sauver les
meubles, en gardant le mouron.
Un rire de commande viendra ponctuer ton silence de temps à autre, le plus souvent devant une niaiserie
télévisuelle.
Alors tu plongeras dans notre pseudo-bonheur, la
grosse cuillère en argent de nos appétences, de notre sordide
attirance pour une certaine avidité, primale et définitive.
Déchéance des déchéances, ton front deviendra soucieux, tes rides se creuseront, tes années
passant te rapprocheront d'un tombeau irrésistible, celui de tes
jeunes années. Nous nous retrouverons, autour de la table, déjà
loin de la fleur de l'âge, déjà fanés, vieux et avachis.
Notre
silhouette deviendra morbide, notre regard hâve, nous serons
livides, comme nos draps froissés.
Nous aurons gagné le souffle
second, comme des Napoléon-le-Petit du second empire, décriés par
les Hugo de notre époque, nous aurons gagné la mort au loto, lui
serrerons la main dans une posture sans gloriole, sans destin, dans
une persistance chagrine, une consistance involontaire. Nous serons
gangrenés, comme étriqués, par la bêtise.
Mort ordinaire de gens
ordinaires, dans un quartier ordinaire, et pour des gens ordinaires,
voilà une gloire qu'on ne nous enlèvera que difficilement, et qui
nous auréolera de son nimbe éclaté.
Car la méchanceté, au fond,
restera comme une arête, en nous, dans la gorge des loups du soir.
Vengeance du mal sur le bien. Un accident bête parachève ce genre
d'existence. Nous serons définitivement refaits.
Nous aurons cueilli les derniers brins de thym en fleur de notre épopée familiale pernicieuse et falote.
Mais, peut-être, tout cela, au fond, vaut mieux que toute cette corruption dont on a chaulé les murs de notre arrière-monde.
Certainement.
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