vendredi 9 janvier 2015

Il nous faut écrire, car c’est vital, mais écrire sans la moindre goutte d’illusion, car le rapprochement des cœurs est comme interdit, banni dans l’épaisseur des draps de la petite mort qui nous atteint, non, nous transforme de loin en loin, nous les adultes souvent habitués à la brouille, ce goût horrible qui nous déporte, qui nous chasse, nous rejette dans les limbes du non-dit et l’enfer du non dicible. 
Un soir tranquille sur la ville...
Ecrire, c'est brûler, quand on le fait avec passion, d'un feu intérieur
Car comment résumer ces pensées et ces sentiments ébauchés, par lesquels nous avons esquissé une velléité de communication, de transfert d’affects, et qui sont tout de même restés lettre morte, courrier non ouvert, poterie brisée dont on n’a jamais le temps du puzzle, le temps de recoller les morceaux. Peu à peu s’est installée en nous cette habitude du non-dire, ce rejet aux confins, cet exil qui nous déshonore et nous habite par contumace ; le jugement intérieur nous condamne comme on condamne une porte en la barricadant simplement ou encore en en jetant la clé dans un fourré...
Le squatteur intérieur est enfermé dans ses retranchements. Il vit encore certes, mais il n’a pas le droit ni la chance de sortir, il se meurt peu à peu dans les couloirs sans fin du for intime. Nous nous évitons. 
Pas de procès, pas de délit, pas de peine. Une sorte de halo nous indique vaguement que quelqu’un s’éclaire à la bougie dans notre moi, mais au fond on n’y prête pas attention, parce que le temps estompe la conscience de l’autre et nous oblige à demeurer assis quand le théâtre d’ombres se gîte au fond de nous. 



qui se communique parfois à l'autre
Écrire un blog serait-il la solution ? Car écrire sans être lu, voilà une espèce de gymnastique en solitaire, une série d’exercices sans vraie solution. On oublie les gestes et les procédures. Dans le flou d’une photo de brouillard dans la montagne, dans les brouillons bouillonnants de la vie… la montagne, quelle ironie du sort, ne répond plus à mes cris que par un écho mauve et faible, une sorte de vague parnassien ouaté, ou une espèce de rythme à la Ray Charles, dans la chanson Georgia on my mind par exemple, car le frère est peut-être ou plutôt sûrement un être fantastique qu’on a perdu jeune, comme Ray, et qui ne correspond plus avec nous d’aucune manière, à première vue. Mais qui nous correspond pourtant, quand on y réfléchit mieux, étonnamment. Il habite ce pays lointain que les kilomètres carrés de caractères griffonnés même avec acharnement ne permettent pas d’atteindre. Le loin est une barrière infranchissable quand le temps s’ajoute à la distance. Il y a un mur de Planck au fond de chacun de nous, sans doute. Nous aurions pu être autres, eût-il été loisible de le devenir. 

Décrivant sans doute la passion dans ce qu'elle peut avoir parfois de destructeur et d'exclusif, le poète Eluard a écrit :


Pour vivre ici

Je fis un feu, l'azur m'ayant abandonné

Un feu pour être son ami, 
Un feu pour m'introduire dans la nuit d'hiver
Un feu pour vivre mieux.

Je lui donnai ce que le jour m'avait donné :
Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes,
Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés,
Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes.

Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes
Au seul parfum de leur chaleur ;
J'étais comme un bateau coulant dans l'eau fermée,
Comme un mort je n'avais qu'un unique élément.

Paul Eluard, Le Livre ouvert, 1940

Aurore... presque boréale...



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire