mercredi 3 octobre 2018

Le meurtre à Blanc





Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère!
 « Au lecteur » Baudelaire, Les Fleurs du mal


L'engin caresse d'abord le doux duvet de ma tempe droite
Il appuie très fort et rentre à toute blingue dans ma pensée soudain éveillée

Mes potentialités qui ne demandaient qu'à s'épanouir deviennent virtuelles
Mon passé percute et emboutit complètement le présent
Mon avenir haut en couleurs mais déjà menacé se désagrège et s'effiloche sans un bruit

Passé inexistant
Présent sans plus de consistance
Futur harnaché amouraché du Néant

Mes dons sont désavoués, les armes de mon intelligence sont désamorcées
Mes rires d'enfant se figent et coagulent au fond de ma gorge
Le projectile ressort de la tempe gauche
Oui il m'a tué sans rémission possible

Mais qui l'a tiré ce projectile, à la fin ?

C'est TOI qui auras appuyé sur le détonateur, hypocrite lecteur...
Toi qui as laissé faire le jeu de la gâchette
Toi qui t'es bouché les oreilles quand ton frère a fait feu
Toi qui as fermé les yeux quand tu m'as vu pleurer
Toi qui t'es peut-être signé quand la mort m'a flétri
Toi toi toi oui toi

Laisse-moi donc t'expliquer

J'étais un enfant du Sud, un espoir de ma mère
J'étais ventripotent et déjà flageolant
Le kwashiorkor m'a dénutri
Une simple diarrhée m'anéantit
Je suis mort par ta faute
Comme si une balle m'avait atteint en pleine tête
Une balle que tes pays nantis ont tirée cette nuit
En votant pour eux-mêmes, en oubliant mon lit de détresse inouïe
En soutenant les multinationales qui rendent mon beau pays exsangue

Et toi, mon aimable comparse
Sur cette belle planète bleue
Me voyant chétif, amaigri, émacié
Tu n'as rien fait ou si peu
Oh ! Bien sûr tu répondras peut-être :
J'ai donné aux associations mon obole symbolique
« A bas la famine ! » « Fini le handicap ! »

En fait tu t'es acheté une conscience claire à bon compte
Une conscience nette de Monsieur Propre
Qui ne nettoie que son for intérieur

Et laisse le reste du monde dans sa crotte

Non tu n'as pas changé les choses
Tu as laissé se perpétuer
le SSSSSystème reçu en héritage
L'Ur-fascisme mondial de la rage
L'hydre dévoreuse d'enfants

Tu as donc appuyé sur la gâchette et le coup est parti
Je suis mort et tu es meurtrier
Te voilà peut-être débarrassé d'un poids (tu ne crois pas ?)
Les vautours s'occuperont de mes funérailles (n'est-ce pas ?)
Tu n'auras rien à payer là non plus tu vois hypocrite

Tranquillise-toi
Je crève en silence
Tu n'auras que le bruit des pas de ton inconscient tourmenté

Au fond de ton cœur gris


27 septembre – 3 octobre 2018
Les 3 clichés © M.M. (l'auteur)





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