Bibliothèque
centre de vie, mais aussi de vieillissement, et donc pas centre de ma
vie. Je scande ces mots avec l'impression (un livre est toujours une
impression et plus elle est précise et fine plus elle pénètre dans
les interstices du rocher intérieur. Une conversion ou l'abandon de
sa conversion ancienne peut éclater en plein soi, en transformant le
devenir de chacun, car les mots ont un pouvoir absolument immense
chez celui qui est réceptif à leur musique) je scande
ces mots,
dis-je avec l'impression de vouloir faire florès de ces mânes
terrifiants que sont les dictatures livresques. Car imprimer est
aussi tromper, exploiter, noircir, spolier, taire ou traire, voler.
Le livre est une arme à double tranchant, une épée aiguisée pour
le cœur et l'âme, qui fouille dans les profondeurs, dans les
résections intimes, dans la chair de notre être labile. Et pourtant
il y a sous cette chair un ossement, une calcification, un noyau dur
en quelque sorte, que dis-je un roc, une espèce de compte en banque
aux avoirs gelés, un restant de biens accumulés par des
terroristes, une résistance pathologique à la dure réalité. Ou
salvifique. Un brin, une brindille même, une graine de moutardier
grosse comme une tête d'épingle, le moi imperméable et
intransigeant. Le livre entoure ce grain de sable d'une nacre solide,
le découvre à sa fonction primordiale, le nourrit de ses excrétions
fatales.
Giovanni Battista Langetti, Samson victorieux, vers 1650-1660, détail de la mâchoire d'âne... Musée des Beaux-Arts de Nîmes |
Oui
nous sommes transformés parfois même transfigurés par un livre. On
a parlé de biblio-thérapie. Mieux vaudrait parler de biblio-cure.
Car la catharsis induite par un bon livre (mais un livre peut-il être
bon pour tout le monde à la fois, il est plutôt éclectique dans ses
affinités électives et ses cultures cibles) est comme la symbolique du mythe fondateur,
elle informe (dans le sens premier de donner une forme à) le cœur
et nettoie les artères. Lire un livre, c'est -image usée- voyager
dans un univers miniature, nous sommes des Gullivers
minuscules dans un monde de géants, les années passant nous voyons
quelque grandeur là où il n'y en a parfois plus, nous pataugeons
dans la fange et côtoyons le firmament. Une sorte de catalepsie nous
saisit si nous révisons notre route, la route. La jungle nous
absorbe. Le livre nous tue.
... mâchoire d'âne pour perpétrer une mort intellectuelle, pour ainsi dire... Luis Fernandez, Le Crâne, 1984, Musée des Beaux-Arts, Dijon |
Ah !
Si seulement tu écrivais le liber librorum, la bibliothèque
idéale, la vérité complète. Tu prendrais la retraite. Non tu
ouvres une voie avec ta machette aiguisée, tu fraies un passage,
bientôt envahi de nuevo par les épiphytes périodiques, par
les pensées sauvages qui s'inscrivent à la marge ou se transforment
en suppléments et mises à jour des pénombres si belles, si
fécondes, si fertiles.
Tu
nous fais reprendre confiance en nous, tu nous armes pour résister
aux boas constricteurs, tu nous apprends la technique, l'art au sens
grec et latin : dresser ses bras au-dessus de sa tête pour
pouvoir écarter les spires voluptueux et donc létaux pour notre
ascèse de cet habitant des forêts amazoniennes, ce minotaure sombre
et glorieux, cet étouffant Décret qui veut nous sur-informer, nous
cadenasser dans le profond labyrinthe des œuvres accumulées.
Tu
nous sauves quelque part,
mais
nous ne t'en savons pas assez gré.
(car bibliothécaire est un métier d'avenir, avec le marcottage du cœur de métier vers la révolution numérique et le multimédia. Ce que j'oubliais un peu dans ces lignes anciennes... que les intéressés me pardonnent...)
(car bibliothécaire est un métier d'avenir, avec le marcottage du cœur de métier vers la révolution numérique et le multimédia. Ce que j'oubliais un peu dans ces lignes anciennes... que les intéressés me pardonnent...)
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