dimanche 11 septembre 2016

Un amour de Paule... (1)



Bientôt la fin d'un mois, la fin d'un moi. Que faire sinon pointer à Pôle Emploi, donner son semblant d'être en pâture à la machine, trembler de pouvoir louper cette opération sibylline, cette alchimie mécanique qui transforme un mois d'existence soi-disant oisive en quelques bits informatiques, dans une technicité froide.

Cela me rappelle (ô réminiscence), la phrase de Montaigne :
« Nous n'avons aucune communication à l'être, parce que toute humaine nature est toujours au milieu entre le naître et le mourir, ne baillant de soi qu'une obscure apparence et ombre, et une incertaine et débile opinion. »

Le chômage n'est-il qu'une parenthèse de vie, peuplée de ratages et de tentatives futiles pour retrouver sa dignité volée par le réel, une espèce de jugement opiniâtre et stérile, un peu débile - au sens que Montaigne connaissait à son époque - en effet, comme un retour sur un soi dépouillé, habillé de néant matérialisé, une cédule comme un texte pseudo-savant, avec sa redondance de pénitences obliques et de pansues répétitions. 

Pour tuer le temps il nous faudrait écrire, donner son CV à l'arbre généalogique de nos antériorités, de ces épaisseurs sans plus de consistance maintenant que furent les vies de nos ancêtres, travailleurs exploités, sans vrai revenu sinon une maigre et si peu consolante pitance, un agrégat de petits riens qui formaient le tout si léger, si volatil de leur présence sur la terre des vivants.

Aujourd'hui nous avons l'épaisseur de nos dossiers incroyants, incroyables rapports entre le temps et le présent, ce temps où nous avons été et ce présent où nous ne sommes plus. Et pour combien de temps... 

Car être est-ce paraître et l'essence précède-t-elle vraiment l'existence ? Exister n'est pas être en marge de la réalité structurée, solide, valide, patente, liée comme cheville au corps à l'état de travailleur. Exister c’est ne pas être engloutis par les sables mouvants de la grève perpétuelle, de cette espèce de non-être qu'on nous tend comme un miroir dans les statistiques gonflées d'imaginaire d'une décroissance du nombre des chômeurs.

© MM

Assumer ce mal-être, cette fuite des deux cerveaux chacun vers une berge de la vie, c'est aussi vouer son temps au questionnement incessant sur sa valeur, sa réelle et évanescente – oui, devenant vraiment hypothétique – valeur, sur un marché où on brade à tout-va les objets qu'on y trouve, comme des reliques désacralisées, embouties d'une espèce d'orgueil, d'une fatuité vaines.


Car gonfler son CV pour paraître et séduire, c'est un peu être la grenouille qui voulait se faire aussi grosse qu'un bœuf. 
Non décidément, nous sommes des ballons de baudruche, des pantins articulés aux mouvements saccadés et stakhanovistes, mécaniques, nous sommes des néants prétentieux, des chiffes molles et des épouvantails âgés, qui n'effraient plus personne et sont, dans les champs de concombres ou de décombres de la société, faméliques, pathétiques, étiques à souhait. 

La question : à quel(s) souhait(s) ?








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