mercredi 28 septembre 2016

Poème de Rutebeuf, Les plaies du monde



EN SOUVENIR D'UN AMI DE LA PAIX, je publie ci-dessous un poème, long mais tellement vrai, d'un poète du XIIIème siècle.

Rutebeuf 1230 ?-1285 ?

Les plaies du monde

Il me faut rimer sur ce monde
qui de tout bien se vide et s'émonde.
De tout bien il se vide:
Dieu tissait, le voilà qui dévide.
Bientôt la trame lui manquera.
Savez-vous pourquoi nul ne s'entraime?
Les gens ne veulent plus s'entraimer,
car dans leur cœur il y a tant d'amertume,
de cruauté, de rancune et d'envie
qu'il n'est personne au monde
qui soit disposé à faire du bien aux autres
s'il n'y trouve pas son profit.
Rien ne sert de lui être parent ou parente:
un parent pauvre n'a pas de parenté;
parent, il l'est bien, ami, il ne l'est guère.
Nul n'a de parents s'il n'y a mis le prix:
qui est riche a de la parentèle,
mais le pauvre n'a de parent tel
qu'il ne plaigne les frais
s'il reste chez lui plus d'un jour.
Qui a de quoi, il est aimé,
qui n'a rien, on le traite de fou,
On le traite de fou, celui qui n'a rien:
il n'a pas perdu tout son bois,
il lui reste au moins du hêtre - du fou.
Désormais, nul ne revêt plus ceux qui sont nus,
au contraire, c'est partout la coutume:
qui est faible, chacun le plume
et le plonge dans l'ordure,
Fou, donc, qui ne gagne rien
et qui ne garde pas son gain,
car la pauvreté est une maladie grave.
Voilà la première plaie
de ce monde: elle frappe les laïcs.
La seconde n'est pas peu de chose:
C'est aux clercs qu'elle s'attaque.
Étudiants exceptés, les autres clercs
sont tous agrémentés d'avarice.
Le meilleur clerc, c'est le plus riche,
et qui a le plus, c'est le plus chiche,
car à son avoir, je vous préviens,
il a fait hommage.
Et dès lors qu'il n'est plus ainsi son propre maître,
comment peut-il aider autrui?
C'est impossible, il me semble.
Plus il amasse, plus il assemble,
et plus il prend plaisir à contempler ses biens.
Il se laisserait écorcher
avant qu'on pût en tirer un beau geste,
si ce n'est de force:
il laisse dans leur coin les pauvres de Dieu
sans en avoir mémoire.
Chaque jour il amasse jusqu'à sa mort.
Mais quand la mort le mord,
quand la mort vient, qui veut le mordre,
et qui ne veut pas en démordre,
elle ne le laisse rien sauver:
a autrui il lui faut livrer
ce qu'il a longuement gardé,
et il meurt si soudainement
qu'on ne veut pas croire qu'il soit mort.
Il est mort comme un malpropre,
comme l'esclave des biens d'autrui.
Il l'a maintenant, ce qu'il a acheté!
Son testament est sous le coude
d'un archidiacre ou d'un doyen,
ou d'autres de ses amis:
on n'en verra plus trace.
S'il est entre les mains des moines
et qu'ils en prélèvent des dons, c'est le moins possible:
comme dons, ils prélèvent, en le faisant savoir,
vingt paires de godillots
qui ne leur coûtent que vingt sous.
Avec cela, le voilà racheté et absous!
S'il a fait le bien, c'est le moment de le montrer,
car le voilà sur la sellette.
Laissez-le où il est, oubliez le:
s'il a fait le bien, tant mieux pour lui.
Vous n'avez jamais vu si tôt dépensé
de l'argent amassé depuis si longtemps.
C'est que le diable en prend sa part
comme loyer, puisqu'il l'héberge.
Ceux-là sont ses parents qui paraissent au partage.
Les pauvres âmes le paient,
elles en reçoivent le châtiment;
les corps le recevront le jour du Jugement.
Fortune de clerc, fourrure de chien
ne doivent pas prospérer.
C'est clair, les bons étudiants
s'en voient plus que des portefaix.
Quand ils sont à l'étranger
pour acquérir mérite, estime,
honneur pour le corps et pour l'âme,
personne, homme ou femme, ne pense plus à eux.
Si on leur envoie de l'argent, il est léger:
ils font mémoire de saint Léger
plus que de tous les saints du paradis,
car ils ne les comptent pas dix par dix,
les pièces d'or et les pièces d'argent.
Ils sont à la merci d'étrangers.
Ceux-là, je les estime et les aime, comme je dois,
ceux-là, on doit bien les montrer en exemple,
car, en ce monde, ils sont clairsemés.
Il faut d'autant plus les aimer.
La chevalerie est une si grande chose
que je n'ose parler de la troisième plaie
que superficiellement.
Car de même que l'or
est le meilleur métal que l'on puisse trouver,
de même elle est le puits où l'on puise
toute sagesse, tout bien et tout honneur.
Il est donc juste que j'honore les chevaliers.
Mais de même que les habits neufs
valent mieux que les fripes,
les chevaliers de jadis valaient mieux,
forcément, que ceux d'aujourd'hui,
car le monde a tant changé
qu'un loup blanc a mangé
tous les chevaliers loyaux et vaillants
C'est pourquoi le monde a perdu sa valeur.


dimanche 25 septembre 2016

Interlude



Tout parle, tout remue, tout vit. 

Même la plus immobile des heures, la planète vide et lointaine, l'objet mort et enfermé, la couleur terne des années perdues à te chercher en vain. Tout respire et vibre à l'infini.

Ton âme et moi "pensions les mêmes choses" (comme dit la chanson de Ferré), un fétu de pensée nous attelait au monde, un seul et unique trait, mais flammèche, mais étendard au manche piqueté de vers. 

Je restais alangui sous de vrais platanes verts, dans les recoins du mépris d'une société obsédée par la jeunesse et le vieillissement, par le mouvement, et l'or. 

Tu te durcissais lentement comme un noyau dans le fruit, comme une cosse de silence qui retient ses doux grains, ses haricots blottis en son sein diaphane et soyeux. 


© MM
(...) Tu es dans un tournoi, à tenter de desceller l'absurde de mon rire. Et de discerner ce que veulent dire les yeux tremblants des grands enfants que tous, au fond, nous sommes. Si...

(...) je me saisis de ma condition de mortel fort d'une douce rage ameublie par l'évidence : tout autour de nous pleure et s'enfuit. 

Si le ciseau m'était donné pour tailler une statue, et que j'aie le geste sûr et le sentiment du déjà accompli, du presque achevé, je puiserais profond dans la mémoire des praxis humaines, dans le réservoir des indivis, comme une hymne à la vie secrète, riche, exaltante d'humilité, comme un jour supplémentaire à l'éternel. 

Tu me rappelles l'immuable (et combien solide) arbre à souvenirs, le tronc noueux et tourmenté des temps passés, je me penche sur les réduits de leurs terriers, et interdit, je vois là, figé et tellement mouvant, l’œuf déposé par la civilisation, la réserve et l'avenir du prévisible retour.

Tu ressens comme une serre sur ton cœur étendu, et le vent te presse d'avancer, d'agir, de bouger. 

Mais mon ouvre-portes est coincé, mon stylo se cabre, je me raidis. Je suis l'ouvrier du néant, le scrutateur d'indéfini, l'après d'un rire et la veille infime d'un inatteignable eurêka. 

Tu te perds en moi, pensant y trouver matière à hiberner, survivre à la mauvaise passe de l'hiver, te laisser bercer par le doux souvenir anticipé de l'an prochain. 

© MM
Tu es attirée par la foudre, tu plonges ton regard dans le ciel gris, dans le noir de l'orage. 

Les soubresauts sont humbles, je me réfugie dans la petitesse, j'y trouve une tranquillité sincère et discrète, un amas de tringles dépareillées qui m'intéressent, un recueil de poèmes indécis. 

Ton bateau se cambre dans les vagues de la vie. 

Rien, cette poussière, ce grenier qu'un rais transforme en féerie, qu'un subtil et curieux ballet brownien emplit. 

Je me garde bien de l'infini et me dorlote de connu. Il faut voir le ciel à travers les nues.


(...)

Habeas corpus...



jeudi 22 septembre 2016

Celui qui dit : Raqa* ! à son frère...




L'envers retourné d'un tabou verbal : "Raqa", est-ce un tabou blackboulé hors du "vrai self" ? Le sentiment qui l'accompagne  souvent est-il exorcisé ?

Passer la frontière invisible dans la sylve des mots, franchir cette barrière naturelle entre le bien et le mal, en un mot, un mot honni et banni par le monde des "académiciens" anciens, c'est symptomatique d'une maladie courante, à laquelle on fait bien (doxologie, quand tu nous tiens...) de résister je pense en sécrétant des anticorps, ou qu'en fait on doit incorporer pour mieux la phagocyter, l'analyser, la dédramatiser, la neutraliser en fait

Est-ce en fait lui rendre son lustre baroque qui cingle vers les ports ? 

Pour muer tranquillement vers une plus grande labilité, une lallation supérieure, une maturité empruntée en partie à la doxa, on est un peu bonhomme claudiquant au sens de bon vivant.

Pétulance et gauloiserie venant jouxter nos récits cryptés, atteindre la liberté semble demander des sacrifices, payer une rançon aux bricoleurs de ce système, leur donner un petit blanc-seing pour leur déflagrations intérieures (tuer le petit d'homme et engendrer l'adulte ?). 

Un arbuste mort peut-il revivre ?
La liberté est-elle une mouvance également doxique et en rapport avec l'épistémè d'une époque ? Est-elle toxique ? 

On vient pourtant s'y inscrire tôt ou tard, comme un crin supplémentaire (mais pas surnuméraire !) dans le vent de l'archet, comme un oiseau soudain débarrassé des barreaux de sa cage, dans une responsabilité respectueuse et pleinement assumée, mais sans plus une seule once de mea culpa, même si longtemps l'interdit a pesé sur les paupières qu'il continue peut-être à travailler en soute, empêchant de bien voir en fermant partiellement les quinquets à la réalité augmentée. Scotomisation qui préserve ?

De trop fixer le soleil.


Raqa que je suis, peut-être...

(我是什么葱啊...)


רקא « Raqa », « tête vide », (à ne pas confondre avec Raqqah « capitale » de l’État islamique »)



mardi 20 septembre 2016

Pas assez de prisons ?

Acte d'accusation. 


Accusatif, levez-vous et dirigez la séance. 

Je déclare la séance ouverte.

Accusé venez à la barre, pour une fois on aimerait vous entendre et savoir ce qui de vous est mis en blâme : votre corps, ou votre esprit, ou les deux, ou encore vos actes ou l'intention avec lesquels vous les avez commis ? 
Car il n'est de dichotomie vraie qu'entre le passé et le futur, considérés comme tels, le présent ne répondant qu'à une sorte de point idéal situé au bout d'une épée et où s'inscrit toute la force du temps, et toute l'éternité.

Accusé, donc, vous voici libre de vous exprimer, de dire le fond et d'exprimer la forme de votre pensée, celle à laquelle vous songiez depuis des mois avant que d'être régulièrement convoqué en ces lieux.


(Le tribunal avait pris place, mais en fait qu'est le Tribunal, sinon un bâtiment où des tribuns indigents – ils portent toujours les mêmes vêtements – se disputent le droit de dominer la tribune, donc de monopoliser la parole et l'attention des jurés)

"Je pense que le vrai Tribunal est ailleurs, dans le huis clos des délibérations de la Mafia par exemple, dans le secret des confessionnaux, sublimes portes vers des jugements terrestres inconnus du public, ou connus par contumace et donc où la force de la chose jugée devient résultative, là où des destins se nouent et des avenirs se gravent... voilà j'ai tout dit"

Un soupçon de vilenie reste collé à la vitre du prisonnier, et il est lourdement condamné. 

Il est jugé par devers lui, car la peine se déroule plus tardivement, dans les barreaux et les secrets des cellules, quand les jours aux jours s'accumulent et que le vent ironise dehors dans sa libre cavalcade à travers les chevelures blondes qu'il aperçoit parfois, celles des hommes libres ou celles des champs de blés, ou au milieu des photos des magazines qu'il glane ici et là. Il est dans un trépas symbolique, entre vie et non-vie, entre rire et rictus, entre rime et prose. L'aléa et l'alinéa...


lundi 19 septembre 2016


Donne-moi du bonheur, s’il faut que je le chante,
De quoi juste entrevoir ce que chacun en sait,
Juste de quoi rendre ma voix assez touchante,
Rien qu’un peu, presque rien, pour savoir ce que c’est.
Marie Noël, La prière du poète


          La beaufitude (que je pourrais écrire bofitude...) née d’une proximité quasi maladive avec la quotidienneté, avec ces gestes sans ampleur qui habillent nos matins paumés, quand l’ordre des choses domine, que la voix du poste nous intime l’ordre de nous éveiller à cette lointaine éphéméride-réalité… 



          La beaufitude nous habite aux lendemains des shoots justement sans lendemain, quand la drogue se retire peu à peu des tissus physiologiques en y déposant toutefois ses composants létaux, les précurseurs nous appelant à la rescousse pour que le manque rené y soit comblé… 

          Mais que suis-je et que connais-je de l’univers où se développent les remontrances, les forces de rappel, la magnitude de la drogue. Ce monde m'est aussi étranger qu'éloigné mais me communique pourtant son inquiétante étrangeté. (...)

          Si écrire est une "sale" habitude dans un monde où l’immédiateté passe de plus en plus par l’Internet médiateur (et où les pratiques de lecture ont muté par conséquent), si prendre un stylo et rédiger le reste d’incertitude internée en nos corps grimaçants n’est que le symptôme d’un mal-être, celui d'être en proie à des démons intérieurs ricanant aux encoignures, alors je suis névrosé de multiples façons. Et peut-être le sommes-nous tous également.

          Car fuir dans le véritable est (peut-être) une autre manière de nier cette éphéméride-réalité, qui n’est plus le réel, mais est plus que le réel. Parce qu'accessible et capricieuse. Parce que triviale et exceptionnelle à la fois. Parce que banale et sublime. Un peu de fange et de firmament, aurait dit le poète.

          Est-ce une façon de refuser l’écriture, une maison que plus personne n’habite au fond de soi, un "coin de ruche" (selon l'expression de la poétesse Marie Noël) désertée par les abeilles et par la joie. 

          Et aujourd'hui il me semble être un peu en avance sur mon temps d’écriture, je suis au Café des Halles Bardes et je bois tranquillement mon subside. Le morbide de la nuit s’éloigne peu à peu, je suis non pas soulagé mais rasséréné (sans réelle implémentation de la sérénité), depuis que j’ai des nouvelles de Paris et du pays de l’Euphrate.

          Peut-être est-ce tout simplement ça, le bonheur... la beaufitude transfigurée... par sa propre quotidienneté.






samedi 17 septembre 2016

"Voir le rond dans Montaigne" (note de Pascal dans ses Pensées)




Trublion
                                    ou ludion
                                                                     potimarron...


                                                                               

                                                     dans les ronds          de moquette
          par Issy                                     à travers                                                              la plaine verte

                                                                      


                              l'paradis                                    d'incompris
 dans le pli                                           du surplis                                            escargot
                       qui décante                                au murmure                           d'Alicante


Si tu pries                                   les orants                                                      ressuscitent             en riant
                                un désert                                      si hurlant         

               qu'les sirènes                                                                    se rabaissent               
                                                   et la veine                                                                    qui te blesse
           laisse partir                                                      le néon                         d'Alison
                                  dans les prés           tonsurés                                    de Prévert


                                                       et les airs                 effrontés                                          de Voltaire



Trublion                             
                                              ou ludion

                                                                                       et le rond                   dans Montaigne

fait pleurer                                    les quintaux                 fabliau                     

                                          et Pascal           
                                                                             qui rapplique



me dit      donc   :   
                                         meure                        ta supplique !






vendredi 16 septembre 2016

Desired haven...


They were glad when it grew calm,
and he guided them to their desired haven
Psalm 107:30, NIV



Je n’ai pu lire ni écrire durant ces sessions du colloque intérieur peuplées –oui, habitées- de renouveau (un renouveau quotidien comme semblent nouveaux chaque jour les soleils le matin et les lunes durant les nuits ou au crépuscule, quand ils et elles revêtent des atours mordorés ou diaphanes). 

Me rend inquiet sur ma capacité à traduire ces infinitésimaux de ce que lourdement j’ose appeler l’âme, ce for intérieur dont l’habitance est comprise entre l’animal et le (sur ?)homme, le ça et le (sur ?)moi de la deuxième topique (mais je déraisonne, ces appellations sont surannées et grotesques face à l’infinitude du moindre de nos ébats internes, de nos délibérations intimes). 

...
Oh ! si nous pouvions meubler nos appartements privés de mille et une valeurs, de mille et une beautés somptueuses sans coup férir ! si seulement je savais accumuler les navires jusqu'à remplir mon port de plaisance de yachts multicoques ou de caravelles élancées avec des gréements impeccables, des accoutrements de haute mer, et ensuite faire voyager ces navires sur les flots impérieux et les faire glisser sur les « gouffres amers », qu’ils m’apportent enfin un peu de l’air du large et dans leurs cales que je vois spacieuses, ces épices de l’orient, ces coprahs des Tropiques, ces produits exotiques aux envoûtantes odeurs, pleins du large comme d’un enfant, que ma maternité saurait faire accoucher… 
...

Ah ! me dis-je, endolori de tant d’incomplétude, de cette verve facile et lâche, hélas ! qui me vient au premier jet, il faut attendre, attendre et attendre encore, et chaque nuit allumer le phare et les sémaphores en espérant que les Aigues-Mortes ne vont pas laisser s’ensabler tout navire dirimant. Le port de mon plaisir sera au bout de mes efforts.

Les mortuaires splendeurs du passé rejoignent au ciel du soir les derniers rayons d'un astre rougissant d'avoir encore une fois à nous quitter sans avoir pu changer la face de notre petit monde...






Ballet Blanc


O my Comforter in sorrow
my heart is faint within me...
Jeremiah 8:18, NIV


Pétrie d'hésitation et de demi-aveux
dans le style engourdi de l'hymen amoureux

la valse de vos yeux alanguis
me rend nonchalant et transi

un enfant maladif vomit la mauvaise foi
comme porté par le vent et gravé d'apparat

un enfant pleure  
un enfant meurt
le bleu de ses yeux 
me rend preux


(n'y a-t-il plus de baume en Galaad

ni d'onguent dans vos rangs camarades)

le dérivé des âmes 
fait périr ce dictame
c'est le deuil blanc des anges 
dans le cœur de l'étrange

(n'y a-t-il pas de penseur épanoui
dans le rythme lent mes amies)



Vue de Grenade depuis l'Alhambra © G. P.

 mon vaisseau se perd 
 dans le coutil blessé
 d'un astre qu'on enterre

 je garde le silence 
 mais je pense
 étonné

 quel inquiétant ballet
 chorégraphie
 bal inouï



tous les danseurs en percale
font tourbillonner
les vestales

les musiciens fatigués
jettent leur archet 

du grand secret
des justaucorps
la honte est bue

bruit inconnu
de l'œuf brisé 

oisillon mort

dans nos rues






mardi 13 septembre 2016

Le bavard et le néant

Dégâts d'un incendie (intérieur ?), ou Ex nihilo nihil, © MM


Ah ! Ce monde intérieur que tant de gens décrient en adoptant les marques mondaines de leur inanité, les superflus clinquants de leurs insuffisances, les chiralités spéculaires des mises en abîme que procurent ou provoquent les modes et leurs gadgets sophistiqués, ce monde n’est pas peuplé de rires, de chants faciles, de réalités nulles. 

Il est porteur d'un message intime, d'une réalité que le discours courant qu'on veut nous faire adopter comme un prêt-à-penser commode et universel ne saurait décrire sans la déformer.

Il appartient à cette culture cultivée, à ce jardin candidement labouré dans la joliesse printanière de l’art, à tout un univers orné de mille facettes mordorées et pourtant funèbres. 

Même les naïfs savent que le savoir peut tuer. Et c’est pourquoi certains dégainent leur savoir comme une arme. Quelle bévue.

Que de rutilances dans la connivence avec le soi, dans l’impédance du haut parler interne. Rutilances de colifichets, ces colliers composés de perles raréfiées, de ces huîtres qui enrobent de nacre comme des sous-produits désirables le moindre grain de sable entré en leur coquille. 

Car – mais ce « car » est un alibi pour le crime gratuit d’aucuns – il nous faut trouver des dorures, des zébrures et des gravures de Gustave Doré dans nos livres de chevet.

Que dis-je, que dis-je ? C’est un rythme, c’est une saison, c’est une joie cyclique, que nous expérimentons et apprécions davantage à chaque fois que nous créons. Ou recréons.

Car créer est le propre du néant, disent certains (esprits chagrins ? artistes ratés ou créateurs frustrés ?) "Tout vient du néant et tout y retourne."

"C’est ce néant –car toutes les forces en présence dans l’univers s’annulent mutuellement, nous dit-on assurément - qui nous interpelle, c’est sa richesse mathématiquement sommée, c’est la pulsation inchoative, éphémère, étrange, qui repeuple nos limbes et informe nos sens. (...)" Que tout semble venir d'une singularité originelle ne change pas le point de vue des vains discoureurs.


D'ailleurs, je crois être assimilé à la légèreté ailée d’un pigeon qui picore, conduire de-ci de-là une réflexion éparpillée, sans lendemain, lente et sans passé décelable, être en somme un spermologos, un babbler, un bavard (Actes d'Apôtres 17:18) comme on a dit de Paul, l'apôtre, un "discoureur de graines" comme d'autant de remèdes.

Alors...

Do I have the guts for becoming a writer ? 








dimanche 11 septembre 2016

Un amour de Paule... (1)



Bientôt la fin d'un mois, la fin d'un moi. Que faire sinon pointer à Pôle Emploi, donner son semblant d'être en pâture à la machine, trembler de pouvoir louper cette opération sibylline, cette alchimie mécanique qui transforme un mois d'existence soi-disant oisive en quelques bits informatiques, dans une technicité froide.

Cela me rappelle (ô réminiscence), la phrase de Montaigne :
« Nous n'avons aucune communication à l'être, parce que toute humaine nature est toujours au milieu entre le naître et le mourir, ne baillant de soi qu'une obscure apparence et ombre, et une incertaine et débile opinion. »

Le chômage n'est-il qu'une parenthèse de vie, peuplée de ratages et de tentatives futiles pour retrouver sa dignité volée par le réel, une espèce de jugement opiniâtre et stérile, un peu débile - au sens que Montaigne connaissait à son époque - en effet, comme un retour sur un soi dépouillé, habillé de néant matérialisé, une cédule comme un texte pseudo-savant, avec sa redondance de pénitences obliques et de pansues répétitions. 

Pour tuer le temps il nous faudrait écrire, donner son CV à l'arbre généalogique de nos antériorités, de ces épaisseurs sans plus de consistance maintenant que furent les vies de nos ancêtres, travailleurs exploités, sans vrai revenu sinon une maigre et si peu consolante pitance, un agrégat de petits riens qui formaient le tout si léger, si volatil de leur présence sur la terre des vivants.

Aujourd'hui nous avons l'épaisseur de nos dossiers incroyants, incroyables rapports entre le temps et le présent, ce temps où nous avons été et ce présent où nous ne sommes plus. Et pour combien de temps... 

Car être est-ce paraître et l'essence précède-t-elle vraiment l'existence ? Exister n'est pas être en marge de la réalité structurée, solide, valide, patente, liée comme cheville au corps à l'état de travailleur. Exister c’est ne pas être engloutis par les sables mouvants de la grève perpétuelle, de cette espèce de non-être qu'on nous tend comme un miroir dans les statistiques gonflées d'imaginaire d'une décroissance du nombre des chômeurs.

© MM

Assumer ce mal-être, cette fuite des deux cerveaux chacun vers une berge de la vie, c'est aussi vouer son temps au questionnement incessant sur sa valeur, sa réelle et évanescente – oui, devenant vraiment hypothétique – valeur, sur un marché où on brade à tout-va les objets qu'on y trouve, comme des reliques désacralisées, embouties d'une espèce d'orgueil, d'une fatuité vaines.


Car gonfler son CV pour paraître et séduire, c'est un peu être la grenouille qui voulait se faire aussi grosse qu'un bœuf. 
Non décidément, nous sommes des ballons de baudruche, des pantins articulés aux mouvements saccadés et stakhanovistes, mécaniques, nous sommes des néants prétentieux, des chiffes molles et des épouvantails âgés, qui n'effraient plus personne et sont, dans les champs de concombres ou de décombres de la société, faméliques, pathétiques, étiques à souhait. 

La question : à quel(s) souhait(s) ?








jeudi 8 septembre 2016

Un amour de Paule... (2)





Le bleu du ciel comme une image d'avenir radieux... © MM


...Les rangs d'oignons de nos files d'attente, dans les salles de pas perdus de Pôle Emploi, sont des témoignages de notre rage impuissante et futile, rage de ne plus pouvoir, de ne pas pouvoir, de ne plus savoir, de ne pas savoir. De n'avoir jamais su nous y prendre...

Sur les consoles qui nous désolent nous tapons nos lugubres parcours, habillant de longueurs nos petits jobs mouillés aux salaires étriqués, délaissant le réel pour cette simulation du vrai, ces simulacres de possible que nous aimerions croire nous-mêmes.

Avant de tenter de faire passer ces échecs successifs pour une montée irrésistible vers le podium, et de le faire admettre et adopter par nos potentiels employeurs imberbes et impérieux, ces empereurs modernes et soupçonneux. Entre nécessité de formations, de bonnes compétences, de jeunesse et d'années d'expérience, nous risquons à chaque entretien d'être recalés de toute manière, une fois de plus...

Et nous avons perdu l'insolence de la beauté, nous avons des cernes noirs au bout des doigts, des manteaux râpés sur le dos et des chaussures usées aux pieds, nous sommes une immense armée en déroute, comme si placés en retraite de Russie anticipée, face à un ennemi invaincu, un bourreur de crânes et de portefeuilles, l'Employeur exigeant farci de complétudes et de calculs aussi froids que le gel, mais aussi blancs que l'immaculée conception... après la plaine blanche une autre plaine blanche... agrémentée d'un stage un peu rémunéré...

Une sorte de néantisation dans une boîte de bonbons acidulés. Un parachèvement de ratages obsédants et toujours plus radicaux, à mesure que le paysage des années s'en va.

Florestan et Eusebius hantaient les articles de critique musicale de Robert Schumann... ils cohabitent maintenant dans le conatus des légataires universels aux dons cachés... que nous sommes censés être... 

Et sans sucre ajouté.  




mercredi 7 septembre 2016




De ce que la vie ne peut se concevoir sans une forme ou une autre d’écriture, de tag, de glyphe, de trace, ce me semble porter avec l’homme le fossile qu’il devient dans la glèbe. 

Et d’ailleurs quelles traces laissons-nous pour nos lointains descendants, nous qui brûlons les corps, ou les enterrons dans les cercueils capitonnés, où ils sont voués à ne laisser que des cendres, paix à elles. 

Mais qui nous connaîtra quand notre civilisation aura été ruinée, et que de nous il ne restera rien, sinon des données sur des supports de vanité, volatiles, éphémères, illusoires ? 
Et donc déjà sur la piste de l'envol vers le pays paisible des cerveaux oublieux. Même le métal sera fondu quand les bombes thermonucléaires auront embrasé la terre. 

Des fossiles vivants c’est ce que sont nos mémoires enjolivées, ce que sont nos cerveaux embués et même embouteillés de connaissances, dont la gravure parfois nous plaît mais qui ne durent que l’espace si bref d’une vie… des fossiles dans une strate inatteignable, grimés en fantaisies par le vide, la vacuité d’une époque inhabitée par l’Esprit.


A moins que...




lundi 5 septembre 2016

"Like a bird that strays from its nest
is a man who strays from his home"
Proverbs 27 - NIV

          
          Écrire, mais avec quels maîtres ? 

          Nous inspirent donc les autres, nous pénètrent, et nous invitent à dialoguer dans l’interstice, à introduire le discours inter, l’entre-langue, le désert peuplé à grands renforts de canalisations et d’imputations. Des produits extérieurs, des produits exceptionnels, parfois des profits sur exercice antérieur, comme on dit en comptabilité. L’eau si vitale est amenée à grands frais des sources si lointaines, elles-mêmes arrosées par les cycles éternels. Rosée bruine ondée pluie et ainsi va l’inspiration, ainsi nous récoltons le fruit de nos attentes confiantes, de nos prières juxtaposées à notre culture des sols. 
          Bref, Bret (ou Brice, comme tu voudras), nous faisons partie d’un système. Transporter, transbahuter ce système vers mon désert d’interne, mon no man’s land d’habitué à la sécheresse, habitué à être habité par une faune inconsciente du danger, car ce terrain est miné et donc s’y aventurer sans précautions peut nous atteindre dans notre intégrité corporelle, et dans notre dignité, oui c'est une entreprise risquée, certainement vouée à l'échec ou à un semi-échec. Mais à s'y tenter on reçoit comme un surcroît de valeur intérieure, un quant-à-soir (je veux dire quant-à-soi, alors pourquoi écrire cela?) et c'est là un essentiel qu'on ne refusera pas.
          Nous revenir en plein visage. Car le visage, c’est aussi le visage d’un autre, d’une bouteille à la mer entre deux flots de tempête, deux lames écumantes et fébriles. Visager c’est ouvrir cette bouteille. Il faut être au sec. Je crois écrire un peu n’importe quoi quand je dis cela, comme si j'étais enivré par ton regard. 
          Mais qu'importe le vent, quand on a le voyage...




vendredi 2 septembre 2016




... ce que la vie de ce côté a peut-être de plus beau, c'est le retour permanent ou du moins récurrent de l'invincible joie, cette joie qu'on entend à tue-tête dans son jaillissement intérieur, une pulsion dirons-nous, une citerne qui tout un soudain déborderait (bubbling forth) et remplirait la pièce où le moi a l'habitude de résider, entre deux oliviers ou entre deux réservoirs. 
C'est le devenir bipolaire du monde qui m'inquiète. Entre les sports divins et divinisés et les guerres fratricides, urbaines ou claquemurées, entre les discordances et les summums, les abysses et les sommets d'éternité, les œuvres du génie humain le plus pur et les bassesses abjectes de certains...
Ainsi on peut retrouver sa vérité -elle était perdue-, la cajoler, la déminer de tous ses fatras endémiques et stériles qu'on lui assène par tous les miasmes du système et de ses médias.
Et ainsi, en fait, on peut mourir en paix. En paix avec soi-même, en paix avec les autres, qui sont-ils dans ce lointain exil, qui sont-ils les autres, au fond, derrière les persiennes et les rideaux tirés, derrière les apparences et les contradictions voire les conflits qui les composent.
Ils sont ce que nous sommes tous, des peupliers battus par les vents, des herbages foulés par le troupeau, des cigarettes écrasées par le temps avant d'avoir été entièrement consommées, dans le cendrier d'un bar surpeuplé.
Sont-ils vraiment ce que nous sommes, ce que je suis ?
Ou bien y a-t-il une barrière inexpugnable, un gouffre infranchi ou infranchissable, une sévérité rédhibitoire, une dichotomie opératoire, entre eux et moi, ce rien pourchassé par le vent, ce fétu emporté avec la balle dans le grand tri effectué inconsciemment aux aires de battage médiatique de notre localité, la terre ?
O lumière tamisée et intime, combien tu manques à l'appel du cœur (que viens-tu faire là ô cœur, le plus souvent battant, pulsatif, nerveux, servile, traître, enfariné de félonie, éternisé d'incertain, et tellement veule) à l'appel du corps parlant.


Les objets sont comme des dieux qui nous survivent le plus souvent, impassibles et absents, comme des chiens qui nous regardent et font semblant de nous comprendre, mais qui au fond, en fin, ne peuvent rien pour nous.
Les médias aimeraient peut-être devenir comme ces objets dans nos vies... qui peut le dire vraiment, leur pensée est abstraite et réifiée à la fois, comme si les mots qui marquent piégeaient notre inconscient et nous entravaient malgré nous. Insignifiance de leur discours. Et dangerosité de leur pouvoir.