Écrire
une page chaque jour, laisser vagabonder son imagination de ligne en
ligne avec la légèreté d'un papillon diurne ou même
crépusculaire, se laisser bercer par les mots, leur sonorité, leur
redondance familière, aller comme ça au gré du courant, dans un
état de torpeur où la douceur le dispute à la langueur, où
s'accrochent les frondaisons qui descendent presque jusqu'à l'onde,
qui font des pleurs cristallisés sur la surface des eaux dansantes.
Je pense à riveter le monde dans un tunnel de verdure, je n'ai qu'un
vague-à-l'âme : (...) je soupire lentement, dans une
respiration de sommeil sans rêves, je respire et toutes mes
inspirations sont faites pour ce coupant soupir, ce dirimant navire
intérieur qui fait la vérité des ombres et la moiteur des tempes...
Il
y a un mystère, une sorte de mystère, qui tait, qui ouvre, qui
ferme à son gré les sépales de l'âme, c'est la douce diastole de
la vie même, je veux dire la vie de l'esprit, le vide sanitaire de
nos enfantements idéels, qui n'est sans doute pas l'inconscient.
A
travers le temps, comme malgré lui, nous nous regardons comme des
permanents sur cette humble planète, comme des tableaux vivants
accrochés au pan d'un mur blanchi à la chaux. Nous nous croyons
donc importants, puisque nous avons le droit de vie et de mort sur
nos désirs (dans la mesure de notre maîtrise de soi, notion qui est plus noble que celle de self-control) et que nous
avons une pensée d'éternité, une notion de survie, dans la
surpuissance de notre affect fondamental. Il fait chaud, mais nous
ventilons, nous climatisons notre vie avec des protubérances de
synthèse, des prolongements de nous-mêmes, des prothèses de toutes
sortes. Sorcellerie que tout cela aurait dit notre aïeul idéal, que
nous percevons comme l'apparition de la figure de l'aède, notre
prédécesseur sur l'hémisphère de nos consciences.
Oui,
figure d'idylle mentale, schématise nos vérités, enclenche nos
allures modernes, embraie sur la grand-route de nos vides cachés.
Oui, impossible mentor, fais de nous les marionnettes que nous
sommes, ou que nous fûmes, délivre-nous du mal de vivre, des bleus
à l'âme, des ulcères purulents. Oui, ancêtre sans une tache,
lave-nous de nos billevesées, délivre-nous encore une fois de
l'ombre grandissante sur notre chemin, qui appelle les premiers
coléoptères nocturnes, les sphingidés aux formes inconnues et les
chauves-souris suceuses de sang.
Empare-toi
de nos récits, fais-nous vibrer aux tiens pareils.
Nous nous
sauverons de l'imbécile grandeur de nos déboires, comme des rats
quittant le navire aux soleils couchants. Erreur : nous ornons
nos vides de mille erreurs infatuées.
Noble aède, proue de notre
foi, dirige-nous vers le port de notre plaisir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire