Selon
Erving Goffman, si le capitalisme est un jeu de dupes, alors le rôle
de la psychiatrie est de calmer les perdants du système, pour éviter
qu'ils ne protestent bruyamment, dénoncent la duperie, et ne
prennent leur "revanche"...
http://www.zinzinzine.net/hegemonie-psychiatrique-theorie-marxiste-de-la-maladie-mentale.html
Dudule-Dédé,
comment va-ce aujde ??
-
ça va, ça va, je digère mal en ce moment le mépris dont on
m'afflige parfois...
Eh
ben, t'en endures mon vieux. Des fois l'asile psy c'est mieux que la
rue tu crois pas ??
-
Excuse-moi de te contredire sur ce point, on peut se tutoyer
maintenant... En fait, mon bon ami, je suis définitivement pour
l'antipsychiatrie...
L'antipsychiatrie
??
-
Oui, et je suis pas le seul. Parce que la psychiatrie c'est une
mesure coercitive exercée par une société malade qui prend les
fous pour des malades, alors qu'ils ne font que souffrir des
conséquences de la maladie sociale...
Oh
là ! tu vas un peu vite, tu peux m'expliquer tout ça plus posément
?
-
Bien sûr, des gens comme Jacques Lacan, Thomas Szasz, Giorgio
Antonucci, Franco Basaglia, que je confonds toujours avec un ami nommé
Bisceglia, Silvano Arieti, David Cooper, mais aussi le philosophe
Michel Foucault, et le sociologue Erving Goffman, et j'en passe, ont
étudié la question à fond du point de vue sociologique,
économique, philosophique, spirituel même, et sont parvenus à la
conclusion suivante : la
liberté face à la coercition, l'esprit face au cerveau, la
liberté individuelle et le droit d'être différent doivent
l'emporter sur les considérations d'ordre social rigide et sclérosé
qui est l'héritage indirect de la vision nazie et extrême droite
de nos ancêtres les pétainistes.
Ah
bon ! je vois que tu es bien renseigné... mais tu y vas pas un peu
fort ??
-
Non, je t'assure - on peut se tutoyer maintenant puisque je vois que
tu le fais - : c'est la société qui rend les gens malades et qui
veut ensuite les forcer à rentrer dans le rang en se dopant ou en
s'anesthésiant leurs pensées par une sorte de camisole physique,
chimique, psychique, un avilissement et une humiliation permanents
pour mieux les mettre au pas... Dans d'autres pays, dans d'autres
civilisations, sous d'autres cieux, on écoute les gens appelés ici
"fous" pour en tirer des enseignements. Chez les Hébreux,
on appelait les prophètes "nabis" ce qui veut dire "fou"
et "prophète" : on les honorait souvent, les rois les
consultaient, on les nourrissait, on les choyait... parfois aussi on
les aimait pas trop, quand ils dérangeaient par leurs paroles
tranchantes et leurs prophéties alarmistes...
Oui,
c'est vrai je n'y avais pas pensé, et en France il y avait les "fous
du roi", qui étaient certainement très excentriques...
-
Dans l'Archipel des Nouvelles-Hébrides, on dit qu'il faut toujours
écouter les fous, en Afrique du Nord, un fou pouvait interrompre une
réunion ou un repas et même marcher sur la table devant tous les
convives, sans que personne, tu m'entends, personne, n'y trouve à
redire...
Oui,
mais bon, certains sont violents...
- Ou
le deviennent du fait qu'on les traite comme des chiens, voire pire
que des chiens, qu'on les marginalise, qu'on les boycotte, qu'on les
maltraite, qu'on les matraque, qu'on les hait en somme... Oui,
ça peut se comprendre, c'est une culture du mépris de l'autre, de
l'a-normal...
Erving
Goffman, l'Américain pas très connu en France mais qui mériterait
de l'être davantage, a passé un an je crois dans les asiles (comme
dans les prisons américaines dans les années 50 ou 60) et a montré
que ce milieu avait tout pour rendre les gens encore plus malades :
insinuations, chuchotements derrière le dos des malades,
cachotteries, coercition, "étiquetage" nosologique - qui
vous colle à la peau comme une chimère sur les épaules de sa
victime- , camisole chimique ou électrochocs quand ce n'est pas la
camisole tout court, écoute très parcellaire de l'histoire du
"malade", raccourcis thérapeutiques, mise sous tutelle ou
sous curatelle,
Tu
y vas un peu fort...
Attends,
c'est pas fini : dépossession des véritables moyens de
décision des gens qu'on entend "traiter" et qu'on marque
à vie comme des bêtes malades... parcage et mise en relation
permanente avec des gens eux-mêmes considérés comme
"psychiquement atteints" c'est-à-dire renvoi d'images
difformes sur le psychisme de ces pauvres « objets d'étude
et cobayes involontaires »... dénigrement de leurs capacités
créatrices ou amoindrissement de leurs capacités intellectuelles
et culturelles... et j'en passe et des meilleures... notamment le
manque absolu d'intimité, de relations normales, d'activités
saines, de travail réel, de lectures exaltantes, d'expériences qui
ne soient pas "ouatées" et déshumanisées...
-
Oh là, je vois Dédé, que tu es intarissable sur le sujet...
-
Ouais, bof, j'en connais peut-être un peu plus que beaucoup, mais
pas tant que ça. Je crois que j'ai des raisons d'avoir raison. C'est
la société tout entière, des pieds à la tête, qui est mal en
point, ça crève les yeux, c'est pas le pauvre déprimé qui ne peut
accepter de tout cœur cette
décadence globale et mortelle du système... avec la mondialisation
de la bêtise humaine, à grande échelle...
C'est
intéressant, dis-je songeur...
-
En fait, c'est la société tout entière, de la tête à la queue,
qui est mal en point, ça crève les yeux... tous ces machistes qui
traitent les femmes comme des objets sexuels, y a qu'à voir le
mouvement "#dénoncetonporc" et on comprend le vrai malaise
de notre monde... c'est pas le pauvre déprimé qui ne peut accepter
de tout cœur cette espèce de décadence globale et
mortelle du système... avec la mondialisation de la folie humaine
"autorisée", à grande échelle...
...
Je n'avais pas d'arguments réels et suffisamment fondés à lui
opposer, aussi je lui donnai sa petite obole quotidienne et je pris
congé. J'étais abasourdi de tant de science en ce SDF un peu
échevelé et qui n'en laissait rien paraître... je devais moi-même
peut-être reconsidérer le regard qu'on porte sur les gens
"malades"...
Tout ça valait bien un petit pourboire...