- Je suis en colère aujourd'hui, Monsieur mon donateur préféré, je suis en colère...
Ah bon, Dudule ? pourquoi ?
- Toujours ce système pourri, cette espèce de soupe immonde qu'on nous sert tous les jours, comme si c'était LA vérité...
Eh oui, c'est le système, mais ça t'es habitué, non ? je sens que quelque chose te tracasse encore...
- Oui, c'est l'histoire de ce type qui a voulu me violer quand j'étais gamin, encore un sale type qu'on faisait passer pour un gars bien...
Raconte-moi un peu, ça te fera du bien.
- Eh bien, c'est pas compliqué. J'avais 8 ans à peine, je me promenais dans la petite ville de Saulieu, où je suis né, je traînais puisque personne ne s'occupait de moi, ne s'intéressait à moi, puisque j'étais toujours livré à moi-même... et j'ai rencontré un type, un accordéoniste assez connu, que j'avais vu sur des affiches, qui m'a abordé et m'a dit : "Tu veux que je te montre quelque chose ?"
C'était...
- Attends la suite ! Il a ajouté : viens avec moi, je vais te montrer comment on fait de la gymnastique... viens, n'aie pas peur, je ne te ferai rien de mal...
Ah ! le porc !!
- Oui, et il m'a entraîné malgré moi dans un lieu désert, entre des préfabriqués scolaires déserts et des tas de terre immenses. Il m'a dit : "tiens, je vais t'apprendre à faire des pompes !" Je n'ai rien répondu. Il m'a dit : "allonge-toi là, par terre, et fais ce que je te dis. Voilà, comme ça..."
Entre jeunesse et errance, entre vie et mort, entre le cadavres et la loque, entre la nudité et l'apparat des gens maudits, entre le vide absolu et le trop-plein, la plainte des jours qui passent... |
Je vois, en effet. Mais t'a-t-il déshabillé ?
- Non, il a simplement posé son corps sur le mien dans la position allongée et s'est mis à se frotter et à faire des mouvements rythmés... comme des pompes, enfin presque.
Ah ! le vaurien !
- Au bout d'un moment, j'ai senti qu'il était trop lourd, j'ai dit : "Je dois partir, il est tard je crois, il faut que je m'en aille..." Il a insisté un peu, puis voyant que j'étais résolu, il m'a libéré de son étreinte.
Pfff! Quel malade !
- Je me posais des tas de questions, pourquoi avait-il fait ça, est-ce que c'était vraiment ça la gymnastique ? Tout s'était passé à travers les vêtements, tout était bizarre... j'étais totalement incapable de saisir le sens de tout ça...
Et en rentrant, tu en as parlé à tes parents ??
- Non, j'étais terrorisé, je ne sais pas pourquoi. Le pire, c'est que de temps en temps je voyais des affiches en ville, immenses, avec sa photo, un accordéon dans les bras, annonçant un récital public... je me demandais dans quel genre de monde on vit, qu'est-ce que tout ce cinéma ? Qui a le haut du pavé ? Les plus dangereux ? Les gens qui font de la "gymnastique" avec les enfants dans des coins tranquilles ??? J'étais proprement abasourdi, inquiet, je m'interrogeais dans une sorte d'inquisitoire intérieur ? Pourquoi ? Pourquoi moi ? Qui était vraiment ce type ? Qu'est-ce que tout cela signifie vraiment au fond ? Pourquoi ??? POUR QUOI ?????
Ah ! mon pauvre, si tu avais compris, si tu avais pu t'exprimer à l'époque...
- J'ai gardé ce secret longtemps, tout comme celui de mon état physique... jusqu'à ce que... mais je t'expliquerai une autre fois, je suis fatigué, on peut remettre ça...
D'accord, tiens, voilà de quoi te rafraîchir le gosier.
Et je lui donnai une pièce, un peu plus grosse qu'à l'habitude. Il faut dire que j'avais la gorge serrée, car il pleurait, il pleurait comme un saule, de tout son corps, de tout son être. Et moi, je me sentais dépositaire d'un secret douloureux, encore lancinant et traumatisant.