"Ma vie est un roman qui m'intéresse beaucoup"
H. Berlioz
La vie est une romance qui intéresse
beaucoup
.
Mais ma vie n'est pas encore un roman qui m'intéresse
vraiment.
Cependant mettre de l'ordre dans son histoire est toujours
utile à quelque chose, si ce n'est à quelqu'un(e).
Terminer un
ouvrage, pour en recommencer un autre peu après, c'est poser deux
parpaings l'un sur l'autre, avec un peu de ciment stylistique, en
espérant que cela tienne l'épreuve du temps.
On pourrait dire que
la vie est une maison, mais elle n'est certes pas une machine à
habiter, comme certains architectes conçoivent leurs innovations
créatrices.
Elle se compose de dédales intimes, où nous nous
perdons nous-mêmes, et correspond à certaines descriptions du
Nouveau Roman, qu'on ne peut pas réellement reconstruire
logiquement.
La vie est exactement l'oubli, et la demeure même de
l'oubli.
Elle est habitée par des fulgurances d'êtres, des éclairs
de voix, des débris de lumière, des échafauds rouillés et
inutiles, des pots de chambre nuptiale, des oripeaux glorieux, des
sirènes hurlées et muettes, des chansons (le mot qu'il ne fallait
pas convoquer car il convoque à son tour un ordre) à boire, des
verres à pied ou en voiture, des chapeaux haut-de-forme, des têtes
à claque, des parnasses se reposant sur d'humbles paillassons, des rires et des ballades d'infantes défuntes,
des lallations en partance, des timbres de Poste restante, des
malles-poste venant d'une vie antérieure ou fantasmée, des
résistants aux occupants squatteurs de notre liberté, des stupeurs
bleues et des peurs noires, des oiseaux lugubres dans des greniers
mal aérés (mais par où passent-ils pour entrer), des senteurs
sublimes ou intimes, des portes qui grincent et des gonds mal huilés,
des pênes grincheux et des clenches qui se plaignent, des
souricières vides et des fromages entiers, des entames d'été et de
sournois hivers, des livres reliés cuir et des ronds de sorcières
(les serviettes en skaï sont apparues plus tard), des moments
d'inattention et des rêves d'antan, des serpillières usées et des
somnifères effervescents, des draps épais et empesés et des
lanières de martinets (on ne peut pas toujours empêcher ces oiseaux
noirs de chercher un trou où se fourrer), des tempêtes de
Shakespeare et de vraies pluies d'automne, des 25 décembre neigeux
et des couettes à couper, des parfums de vieux salons de coiffure et
des brises légères, des octopodes médicamentés et des baleines
salées, des acrobates tombés dans les filets de truites, des
atomiseurs d'odeurs de champignons fricassés et des champignons à
peu près atomiques ou « moabites », des coupures de
journaux et des durillons d'oreilles, des houspilles en règle et des
notes sans papiers, des instants d'éternité et des langueurs
d'après-midi, des auspices agréables et un hospice pour les vieux cacochymes,
un souffle de présence et des cacahuètes aussi salées que la note
d'électricité d'un grand hôtel étoilé, des bars enfumés et du
hareng au bon fumet, une cour d'école et de récré et un préau
bétonné, des bakchichs mérités pour des mendiants assermentés,
des mélopées déchirantes et des bobos recousus main, des calumets
de la paix et des glaives enflammés, des paradis d'artificiers et
des artilleurs défroqués, des escarboucles -oh ! Le vilain
mot- cadenassées dans des coffrets à bijoux, des dés lancés et
des pirouettes inachevées, des traversins hantés de rêves et des
pantoufles toutes mitées, des orteils en éventail et des vins
éventés, des noix dé-cernées qui deviennent de petits bateaux
sachant voguer, des téléphones muraux et des mûres en salade, des
plats bien concoctés dans un faitout en alu argenté, des « vox
populi vox Dei » et des oukases d'Upanishads, des taloches
méritées et des coïts interrompus, des franchement pas formidables et
des presque parfaits, bref une espèce de mesclun (ou de mescla),
un salmigondis d'idées fortes
et un ramassis de documents sonores de toute sorte, des fossiles au
fond d'une grotte, des déchets dans les poubelles de nos oreilles,
dans nos orifices nasaux et autres, dans le vortex de notre nombril
devenu corne d'abondance et lieu où tout a commencé à foirer, et
où tout, nécessairement, certainement, absolument, doit un jour se
terminer...
Quoique, aurait dit mon ami Devos...
Quoique, aurait dit mon ami Devos...
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