Père, c'est ainsi que tu te désignais toi-même, en appelant ton épouse "votre mère", décrivant ainsi son état civil de manière juste et appropriée (sur le plan purement psychologique) : ne plus considérer ses enfants comme des petits, mais déjà comme des grands, même si encore seulement appelés à le devenir...
Père, ce mot résume le sens d'une vie, car si tu étais, papa, désireux d'une chose, et c'était là sûrement la meilleure manière pour toi de traduire ton amour, cette chose était de transmettre.
Transmettre, transférer sur tes enfants tes désirs inassouvis, incomplets, de réussite et d'insertion dans la société.
Transmettre, à défaut d'affection montrée, ton amour par le peu de biens, par le maigre capital que tu leur laisserais à ta mort.
Tu voulais qu'on se souvienne de toi en bien, qu'on garde de toi cette lumière froide et blanche de l'argent, ton agalma à toi, le suc même de ton âme, la quintessence de ta vie.
Il est vrai que tu en as tellement manqué.
Le manque du manque, c'est pour les riches...
© M.MM |
Trimer, c'est un mot que tu affectionnais.
Tu as tellement trimé, tellement peiné (mais ce mot faible ne traduit pas bien le trimard que fut ta longue vie, ce chemin où tu besognais et t'escagassais à marcher, avec tes pieds plats et ton âme blessée, avec tes mains pulpeuses et flétries par tant de tâches usantes et tant d'années à œuvrer) tu as tellement trimé, dis-je que rien que d'y penser, nous autres tes enfants, qui avons partagé, par la force des choses, les conséquences funestes de ton parcours, nous devrions soupirer, sangloter, pleurer, geindre, oui gémir, sur ton sort, empêtrés que nous fûmes dans les aléas de tes itinéraires, poussant comme nous pouvions à la roue, toi esquinté par la vie, nous estropiés par cette faute, par ce méfait que fut ton procès aux conséquences accablantes pour toi, et débilitantes pour nous et pour notre mère.