mercredi 16 août 2017

Père, père qu'as-tu fait en nous quittant ?



A voice says, “Cry out.”
    And I said, “What shall I cry?”
“All people are like grass,
    and all their faithfulness is like the flowers of the field.
 The grass withers and the flowers fall,
    because the breath of the Lord blows on them. 

                                                                 - Isaiah 40: 6-7, NIV



La vie, comme un organisme qui se déploie, puis qui ploie,
et qui finit par se flétrir et se noyer dans le néant...  © MMM

Notre père, bien faible à l'heure où j'écris, hospitalisé et sous perfusion (ce qui lui redonne des couleurs, tant mieux) notre père dis-je, j'en ai déjà fait, par anticipation, une sorte d'éloge post mortem

Car j'étais emporté par la fougue que donne la parole libérée, l'appui de la psychanalyse, ou de son avatar personnalisé. 

Parce que j'étais un peu amoureux de son originalité, de sa différence, de ses possibles concrétisés dans ses entreprises dont certaines n'ont pas échoué (la famille, son salon de coiffure...). 

Une vie miteuse, avec ses compensations, en quelque sorte : maigres provendes. 

Un monde s'écroule doucement avec soi quand on vieillit, et on perd dans la danse avec le « système » ses forces, ses appas, ses défroques, ses guenilles même (comme ces grandes lépiotes « déguenillées » qui semblent sortir d'un asile de loqueteux). 

On perd – tu perds – le rictus ou la moue qui nous définissait - qui te définit encore, et un masque mortuaire vient lentement remplacer nos mimiques grimaçantes en se plaçant, tel un papillon posé sur notre nez qui ouvrirait ses ailes jusqu'à recouvrir nos oreilles, il tend à laisser à ses contempteurs une impression de faux, de bonheur truqué, de relâchement factice, qu'aucune grimace cependant ne viendra plus jamais troubler. 

Et je pense, insensiblement, insidieusement, demain peut-être, la mort s'installe, elle que je hais instinctivement, elle que j'oublie aussi tant que je peux, elle que je courtise, mais en pensées inconscientes seulement, quand le reste avec son goût sucré me fait désirer le pur cacao, amer, de ses avances.

C'est une injustice à ne pas commettre, vraiment, faire taire la figure tutélaire du père, avant que le doigt de Dieu ou du Diable ne se soit, subrepticement, posé sur sa bouche. 

Je pense, mais qui pourra le confirmer, que le temps vide les yeux et l'âme de leur substance éternelle, et en fait des portraits en creux, en filigrane au moins, sur notre face décomposée, ridée, déconfite. 

Comme désemparée.

Nous sommes des étangs vides avant même notre fermeture définitive. 

Des arbres debout mais déjà morts. 

Des linguistes distingués qui finissent aphasiques. 

Dans la trouble morbidité et la rigidité cadavérique.

[Il me semble maintenant que ma vie m'intéresse, ses bruits, ses odeurs, sa marmaille de loupiotes et de faux-semblants d'accordéons, son carrousel incertain et foutraque, ses tripatouillages de primates, son sens caché, qui est de goûter à chaque moment comme à un vin à la fois inconnu et habituel. C'est la vie je crois, une force qui se perd et perdure, qui lamine et construit, qui bouge et reste immobile dans le décours d'un même instant.] 

S'étioler, une force de rides et de gravides. 

Car la vie s'en va comme un puzzle se défait, pièce à pièce ou par pans limités, quand on a la chance plus si rare aujourd’hui de vieillir dans de bonnes conditions, dans nos pays privilégiés.