L’impression d’une grandeur inscrutable, indiscutable, dépareillée par la comparaison avec les châteaux de la Loire, une grandeur sans fond, comme délivrée des contingences du temps, des virgules du Monde, et même des voix fortes d’outre-tombe.
Je pense à la richesse sculpturale de ces détails monstrueux, à la vérité des siècles qui s’écoulent, toujours renouvelés, comme une eau liquide sur cette chevelure impériale, sur ces friselis sans fin et ces toitures courbées sous l’effort de tenter de durer sans effort.
Je m’assieds pour boire un thé vert, et là, je vide mon sac, ma panse, en faisant la pause.
Il est 11h15 et j’ai raté les carillons de la Zhongbiao Guan (la Salle des horloges).
Après le mémorable repas du soir, où j’ai mis en danger inconsciemment mes amis, je m’en aperçois et m’en repens aujourd’hui… je suis impardonnable car je me mets moi-même dans une ambiance de confiance et de paix, et j’agis comme si j’étais en France.
Mais c’est vrai que les regards de certains membres du personnel étaient un peu mauvais, sans doute parce que nous étions restés tard.
Ici je revis, je respire, je me sens en pays ami, entouré de gens serviables et courtois.
Je n’aurais pas dû avoir peur de venir.
Et en même temps, à la façon chinoise, non à la façon des Han, on nous sert un peu de dictum, une façon aimable de vous servir sans y mettre une once d’état d’âme.
C’est ce qui devrait me faire peur.
Mais c’est ce qui me rassure, je suis entre leurs mains.
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Près de la Cité Interdite, © M.M. en 2011 |
Ils ont fouillé ma valise, mais n’ont rien remarqué.
Ce qui laisse à penser que tout est permis, que tout est licite.
Voilà leur manière de me piéger.
Voilà le Piège.
Bienvenue et abandonnez toute espérance, en gardant quand même l’espoir.
Je suis averti trop tard.
Depuis peu.
Je mesure le vent avec les cheveux gris d’autrui.
Ils sont sclérosés, je suis scalpé.
Il faut que je reparte le cœur plein de cette douceur qui me tue et qui fait, à petit feu, le vrai caractère de ma Chine.
17h.
Au fond des yeux des chinois, il y a une vitalité blette, une fatalité muette, un désir de vivre (c’est-à-dire d’agir) sans véritable fin, du moins selon toute apparence.
Je passe ma vie à essayer de comprendre et d’aimer, alors qu’ici on comprend et on aime dans la naturalité des choses.
Dans le blanc des yeux, dans le jais du regard, dans l’étincelle – pupille de la Nation.
Il faut accepter ce fait, se laisser porter par les choses pour naviguer avec elles.
Elles nous amènent à l’endroit où elles sont, comme par le glissement guidé de l’œil sur une photo d'un courbe chemin.
Elles nous distinguent de la bégueule occidentale, de la mégère et de l’hubris de nos pauvres années.
Car on sent bien ici, dans cette foule compactée, dans ce monde que d’aucuns décrient comme étant uniforme et monolithique, mais vu de l’extérieur, une mosaïque de peuplades, de peuples, de people, une composition florale orientale et harmonieuse, une vérité vraie.
Variété et facettes, vérité et finesse.
Nuances sous les nuages et danse avec les sourires.
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Mon pousse-pousse en arrivant © M.M. |