La gueule d'un monstre autrefois vomissant aujourd'hui épuisé, Domaine de Rieussec, Hérault |
Écrire,
mais sans rituel qui me rassure, sans l'assurance d'une habitude,
sans la prégnance de l'habitus. Mes mots sont là, ils m'attendent.
Je les cueille et les accueille, ils me mènent un peu plus loin, là,
vois-tu, vers le fond de la serre (qui est en fait une papillonneraie).
Vision idyllique et exotique, mais vision tout de même, préfixe de
mots sans fard, sans sens, n'ayant ni queue ni tête, comme en ma
jeunesse l'a été le mot blormiceps. Nous le prononcions comme un
sésame de la tranquillité, comme un mot-conjuration pour tout
événement fâcheux ou simplement ennuyeux, toute mesquinerie fade.
Le mot insensé de nos entourloupes, le mot vide de nos manquements,
de notre manque. Manque à gagner, manque à vivre, manque à aimer.
Il y avait ces mots incolores et obscurs, ces dégobillés de
pensées, ces vomissures de notre pauvreté. Nous faisions de la
fausse monnaie, ou plutôt nous fabriquions notre monde parallèle,
notre code de reconnaissance, notre espace de jeux interdits, où
nous criions notre identité. Notre semence verbale était notre
amour un peu défraîchi, notre perte du sens, notre vie déglinguée.
Casoar, bleps, blormiceps, « ou bien par la fenêtre »,
« y a un cadavre dans la contrebasse « la « banque
Schmoll», etc. notre avenir
étant bouché, il ne semblait rester que ces jeux gratuits avec
l'abstraite et cryptée apparition du mot ou de l'expression vide,
avec l'emballage du monde. C'était notre carton-maison, notre
carton-jouet, notre carton multi-usages, utile à tout. Nous nous
faisions notre habitat, nos coutumes, nos lois. Et nous croyions
naïvement en tout cela, et nous nous gargarisions de nos
excrémentielles exhalaisons. Illusions-désillusions. Jeux devenant notre sombre univers, notre destruction future, notre
anéantissement psychique ? Témoignage d'une vérité qui bouge
en nous, nous contraint, nous guérit de la
mauvaise vie alors si
courante.
Même domaine, le monstre assagi |
Non-vie :
Nous étions pourtant des cadavres, ni exquis, ni exsangues, porridge
et pudding d'une gastronomie qui n'avait rien d'exceptionnel, mais
qui fleurait l'étranger, le lointain, le presque envolé, le « déjà
plus là » ; dans cette mort minuscule, vertueuse et fadasse,
comme une semblance de continuation de la vie, une fausse
prolongation d'un match sans jeu à balle réelle, une sorte de
collection de curiosités, prolongement de nous-mêmes dans l'absurde
du quotidien subi.
Boursouflures
séreuses. Absence d'hypocrisie pourtant, mais mal devenir sûrement...
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