Même sur les eaux stagnantes poussent des fleurs, en groupe familial... © M.M. |
Raconter sa famille, c’est un peu finir une histoire, se
démarquer de la vacuité due à l’éloignement, à la fois trahir
et aimer, poursuivre et être poursuivi, dans un jeu de miroirs entre
la mise en abîme et l’embaumement d’une part, et l’exorcisme
facile par la plume, prolongement de la main, qu’elle soit clavier
ou stylo bille.
Raconter
ça, c’est tomber mal, tomber et se faire mal, se décider à
dégoiser les paroles qui fument, les paroles qui enflamment, les
propos hors de propos, les cassations sans pourvoi, les condamnations
sans appel, les prévoyances ratées, les regrets paternels, les
petits plats mijotés de celle qui fait la mijaurée, la pimbêche,
ou la pasionaria effacée.
Raconter
ça, c’est grandir les contours de sa vérité filiale, de sa
filiation quelconque, du hasard éternel qui revient à chaque
génération avec les numéros gagnants de sa loterie dantesque et
fantasmatique. Nous, les M***, nous sommes un peu des parias, des
maudits, des mi-hommes, mi-humains, mi-animaux de ménagerie, objets
des regards, si pas des paroles, objets du mépris pour notre
situation de non-riches, de misérables traficoteurs de néant,
petits parmi les petits, épouvantés par les commérages, les
ragots, tout le gossip de notre gros bourg de 3150 habitants à
tout casser.
Avec les Braque, les Schatz, les Mortin du village... tous les pauvres, les gueux, les douteux, les merdeux...
Avec les Braque, les Schatz, les Mortin du village... tous les pauvres, les gueux, les douteux, les merdeux...
Raconter
ça, c’est s’ouvrir le ventre et compter ses boyaux, gratter ses
intestins de tous les affronts, de toutes les rebuffades, des
anti-sinécures de notre anti-monde, de notre univers rétréci,
couloir absurde et encombré, corridor sombre et sans issue valide,
comme celui de la rue du Marché, si vous voyez ce que je veux dire,
qui débouchait sur le Faubourg, mais était habité du tas de chutes
de bois que papa achetait à bas prix pour le chauffage parcimonieux
de notre maison aux murs épais.
(...)
(A suivre)
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