LA SAINTE BOUTIQUE
J’irais
y chercher le fouet du rédempteur,
Le
fouet dont il frappa, pour donner un exemple,
Les
marchands accroupis qui vendaient dans le temple.
Puis d’un bras vigoureux, sur vos reins, vos jarrets,
Puis d’un bras vigoureux, sur vos reins, vos jarrets,
O
ministres de Dieu, je vous expliquerais,
Je
dis l’épicier, dans l’état qu’il exerce,
N’a
pas tant que vous la bosse du commerce.
Quoi ?
Je vois une église, sur le bord du chemin
Et
je n’y puis rentrer que la bourse à la main !
A peine dans un coin, ai-je une chaise,
A peine dans un coin, ai-je une chaise,
Qu’aussitôt
la loueuse, à la mine en dessous,
Me
présente cinq doigts cuivrés par les gros sous.
Mais je n’ai pas fini de fouiller dans mes poches
Mais je n’ai pas fini de fouiller dans mes poches
Qu’un
essaim de valets m’environne et s’approche.
L’un
quête pour les morts qui n’ont besoin de rien,
L’autre
pour les vivants qui se portent fort bien ;
Celui-ci
pour l’Église ou pour la Bienheureuse.
La foret de Bondy n’est pas plus dangereuse !
La foret de Bondy n’est pas plus dangereuse !
Enfin,
las de donner, je m’apprête à sortir
Quand
soudain, pour l’offrande, on me vient avertir
Un
grand mandrin de Suisse, au mollet équivoque,
Empêche
en ce moment la fuite que j’invoque.
Pour mon salut, docteur, cet homme intelligent
Pour mon salut, docteur, cet homme intelligent
Veut
que j’aille baiser la patène d’argent.
Mais tout cela n’est rien. Je vais à l’instant
Mais tout cela n’est rien. Je vais à l’instant
Te
montrer un trafic beaucoup plus ravissant :
Ton
père est-il défunt ? Veux-tu quelques prières
Pour
apaiser là-haut l’inflexible Saint-Pierre ?
En veux-tu pour les morts, pour chasser les esprits ?
Parle ! Fais-toi servir ! Ils en ont à tous prix !
En veux-tu pour les morts, pour chasser les esprits ?
Parle ! Fais-toi servir ! Ils en ont à tous prix !
Ils
tiennent des Ave,
des Agnus,
des cantiques,
En
gros, en détail, au gré de leurs pratiques,
Du
moment que tu paies, ils n’examinent rien.
Ils diront, si tu veux, la messe pour ton chien.
Ils ont un même tarif, là, pour leur sacristie,
Ils diront, si tu veux, la messe pour ton chien.
Ils ont un même tarif, là, pour leur sacristie,
Qui
règle ici bas, l’entrée et la sortie.
C’est pire que l’octroi car, chez eux, sans mentir,
C’est pire que l’octroi car, chez eux, sans mentir,
Il
faut payer deux fois, pour entrer, pour sortir.
Ce bien heureux tarif est une œuvre modèle,
Ce bien heureux tarif est une œuvre modèle,
Croquenotes,
bedeaux, curés, quinquets, chandelles,
Jusqu’au
siège boiteux que l’on prend au hasard,
Tout
se trouve compté dans leur maudit bazar.
Tu
trouves chez eux, grand messe, messe basse,
Messe
avec serpents, violons, contrebasse,
Messes
avec fauteuils, tapis, chandeliers d’or,
Enfin
messes où l’on prêche, où l’on baille, où l’on dort.
Ainsi tu peux, mon cher, te payer à toute heure,
Ainsi tu peux, mon cher, te payer à toute heure,
Une
messe à ton goût, solennelle ou mineure.
Avec la croix d’argent, la
croix d’or s’il le faut,
La
prose en faux bourdon et l’hymne en bourdon faux,
Tout
comme tu voudras : te faut-il un prélat novice ?
Six abbés, quinze clercs, ils sont à ton service.
Te faut-il un prélat ? Qu’il te soit accordé !
Six abbés, quinze clercs, ils sont à ton service.
Te faut-il un prélat ? Qu’il te soit accordé !
Garçon,
faites servir le prélat demandé !
Je
n’en finirai pas et l’on viendra me dire :
‘L’Église
est en arrière.’ Allons donc, c’est médire !
Trouve-moi
dans Paris, magasin mieux monté,
Des
commis plus adroits, plus souples, plus futés !
Ne
sois pas étonné de ce style nouveau !
On
marchande un convoi comme on marchande un vœu.
L’argent,
voilà leur Dieu ! Je crois, sans hyperbole,
Qu’ils
se feraient, mon cher, fesser pour une obole.
Aussi, quel dévouement, quels sublimes efforts
Aussi, quel dévouement, quels sublimes efforts
Quand
il s’agit, morbleu, d’emplir leurs coffres-forts
Et
comme ils sont ferrés sur les mathématiques,
Quelle
adresse à compter, leurs mains sont élastiques !
Avec
quel art, quels soins, nos écus massés
Glissent
rapidement sous leurs doigts exercés.
Dans le commerce, au moins, marchands en boutiques,
Dans le commerce, au moins, marchands en boutiques,
Accordent
pour payer trois mois à leurs pratiques
Mais
jamais ces faquins, à parler sans Phoebus,
N’ont
fait crédit une heure à l’homme sans quibus.
(...)
(...)
Ils
font argent de tout, de l’erreur, du remords,
Prêtent
sur l’agonie, hypothèquent sur la mort,
Trafiquent
du secret des femmes et des filles.
Tout
sentiment d’honneur ou tout instinct fatal
Est
pour eux une affaire, un chiffre, un capital.
Plus de pitié, ma muse compétente
Plus de pitié, ma muse compétente
Demande
qu’on leur offre à prendre une patente.
Comme donc nos marchands seront patentés,
Comme donc nos marchands seront patentés,
Et
seuls de cet impôt, ils seront exemptés…
Eux
qu’en tout et pour tout, la fortune accompagne,
Et
qui vendent de l’eau plus cher que du champagne,
Pour
moi qui plaide ici pour le pauvre sans Dieu,
Je
dis qu’ils sont marchands, juifs et fesse-mathieu
Et
de l’Église enfin résume le génie,
J’inscris
sur leur portail : « Le Pape et Cie ».
Victor Hugo