« On ne plaint jamais dans autrui que les maux dont on ne se croit pas exempt soi-même. » - Jean-Jacques Rousseau
« Quand on se plaint de la méchanceté d'autrui, on oublie cette autre méchanceté plus redoutable encore, celle qu'auraient les choses s'il n'y avait pas autrui. » - Gilles Deleuze
Il aurait bien voulu s'exprimer, non
pas faiblement, d'une façon qui lui aurait alors semblé une
imposture, une usurpation, mais avec des mots crus, bien assaisonnés,
loin des fadaises qui sortent habituellement de la plume des grands
pontifiants, des farcis de culture cultivée, des farceurs de
l'intellect dégingandé.
Il lui semblait qu'ils pullulaient
ceux-là, et qu'après s'être nourris des restes des géants, ils
pondaient leurs déjections, leurs boules de poils, leurs ruminations
gastro-duodénales des Classiques (dont on dit qu'ils éclairent tels
des fanaux nocturnes le monde grouillant des ports de commerce de la littérature mondiale).
Rien ne pourrait, lui, le rassurer sur
sa concision, sur le peu qui sortait de ses tripes, sur le non-sens
de ses précisions maladives et indigestes justement.
Un monde entre le peuple tonitruant et
loquace, sûr de sa faconde et qui piétine en dansant les parterres
de la vraie littérature, et lui, avec son quant-à-soi et son
laconisme, cet abrivent bien vu par les connaisseurs de la vraie
économie, celle des mots et des concepts.
Car pour sûr il ne fallait pas une
pléthore de pensées, mais un essentiel, un compendium, un
vademecum de l'idée.
Derrière les regrets éternels et
éternués de sa prose, on sentait l'étourdissement et les vapeurs
de l'alcool, les remontrances subtiles de l'éther.
Voilà la couleur secrète de son ton
lapidaire. Le prurit invariable qui le démangeait si souvent.
Foin de toutes les influences, assez de
cette horde de « maîtrelets » qui vagissaient sur la
grand-place en dessous de son balcon.
Las !
Rien ne pourrait
perdurer -encore moins percer- de ses lamentations intérieures,
délicates, intimes, surannées comme des marrons glacés de l'hiver qu'on sortirait de leur boîte en été...
Il divaguait.
C'était abrupt, finalement, cette
falaise de mots, le saut dans l'inconnu, les rocs découpés et la
mer houleuse des phrases possibles à l'infini.
D'un côté le désert, de l'autre
l'océan vide et hurlant.
Son imbécillité, et l'innombrable
pluriel des virtualités à concrétiser.
Qu'il aurait tant aimé rendre réelles,
même à travers la nébuleuse des flacons de l'ivresse.
Être, à travers l'espace du temps.
20 avril 2007 - 9 juin 2018