Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère!
« Au lecteur » Baudelaire, Les Fleurs du mal
L'engin caresse d'abord le doux duvet
de ma tempe droite
Il appuie très fort et rentre à toute
blingue dans ma pensée soudain éveillée
Mes potentialités qui ne demandaient
qu'à s'épanouir deviennent virtuelles
Mon passé percute et emboutit
complètement le présent
Mon avenir haut en couleurs mais déjà
menacé se désagrège et s'effiloche sans un bruit
Passé inexistant
Présent sans plus de consistance
Futur harnaché amouraché du Néant
Mes dons sont désavoués, les armes de
mon intelligence sont désamorcées
Mes rires d'enfant se figent et
coagulent au fond de ma gorge
Le projectile ressort de la tempe
gauche
Oui il m'a tué sans rémission
possible
Mais qui l'a tiré ce projectile, à la
fin ?
C'est TOI qui auras appuyé sur le
détonateur, hypocrite lecteur...
Toi qui as laissé faire le jeu de la
gâchette
Toi qui t'es bouché les oreilles quand
ton frère a fait feu
Toi qui as fermé les yeux quand tu
m'as vu pleurer
Toi qui t'es peut-être signé quand la
mort m'a flétri
Toi toi toi oui toi
Laisse-moi donc t'expliquer
J'étais un enfant du Sud, un espoir de
ma mère
J'étais ventripotent et déjà
flageolant
Le kwashiorkor m'a dénutri
Une simple diarrhée m'anéantit
Je suis mort par ta faute
Comme si une balle m'avait atteint en
pleine tête
Une balle que tes pays nantis ont tirée
cette nuit
En votant pour eux-mêmes, en oubliant
mon lit de détresse inouïe
En soutenant les multinationales qui
rendent mon beau pays exsangue
Et toi, mon aimable comparse
Sur cette belle planète bleue
Me voyant chétif, amaigri, émacié
Tu n'as rien fait ou si peu
Oh ! Bien sûr tu répondras
peut-être :
J'ai donné aux associations mon obole
symbolique
« A bas la famine ! »
« Fini le handicap ! »
En fait tu t'es acheté une conscience
claire à bon compte
Une conscience nette de Monsieur Propre
Qui ne nettoie que son for intérieur
Et laisse le reste du monde dans sa
crotte
Non tu n'as pas changé les choses
Tu as laissé se perpétuer
le SSSSSystème reçu en héritage
L'Ur-fascisme mondial de la rage
L'hydre dévoreuse d'enfants
Tu as donc appuyé sur la gâchette et
le coup est parti
Je suis mort et tu es meurtrier
Te voilà peut-être débarrassé d'un
poids (tu ne crois pas ?)
Les vautours s'occuperont de mes
funérailles (n'est-ce pas ?)
Tu n'auras rien à payer là non plus
tu vois hypocrite
Tranquillise-toi
Je crève en silence
Tu n'auras que le bruit des
pas de ton inconscient tourmenté
Au fond de ton cœur gris
27 septembre – 3 octobre 2018
Les 3 clichés © M.M. (l'auteur)