dimanche 19 avril 2015

J'aime le bazar, le souk, la profusion exotique et les colifichets de toutes sortes...
Vernet-les-Bains, en été...
C’est dimanche. Peu de choses ont plus d’importance. Le temps réservé à soi, aux autres, à l’Autre. La vie coule comme une boucle du Yangtsé, un méandre nécessaire et un mal contingent. Les horreurs se diversifient et se pragmatisent, qui déballent leur camelote dans les rues de mon temps intérieur, de mon temple extérieur. Des soldats passent, chemise brune pour des soirées de rodomontades. Derniers petits cachalots dans la Mare Nostrum de mes centres d’intérêt. Clientélisme de l’absence et démarque ultime du printemps passé, en plein cœur de l’hiver. Un hymne à la douceur de la paresse et à la nonchalance de sa mansuétude. (...) Les oliviers sont flous, comme étirés par leur portée, comme tendus pour le dénoyauteur crédule des heures. (...) Nous sommes la proie de nos organes déboutés, de ce matériel qui nous équipe et nous rend mal bienheureux. Que faire de nos simplicités d’âme, de nos silences de prolongement, de notre accorte inélégance. 

Que dire après tant d’autres moi, lovés dans l’indifférente marée humaine de nos prédécesseurs. L’originalité de la pensée, le biseautage de l’intellect, l’ornement post-rhétorique, tous les petits encarts de notre ami intime,
长江第一湾, courbe du Yangtsé, 2011
semblant se faire appeler Désiré(s). Car nous avons tout le saint-frusquin de nos plèvres, de notre sternum, de notre dure-mère et de nos méninges. Entassés dans les courbes de notre crâne ou de notre cage thoracique. Gagner de la place pour que perdre la vie soit une énigme insupportable. Évoluer vers la conscience de ce néant qu’est la mort. Je me perds dans ces friches très connues, comme si je prétendais explorer le coin sombre de notre impasse, de nos impossibles, de nos indicibles.


Car si loin que nous allions, c’est toujours au bout de nous-mêmes, et le vaillant caparaçon que nous nous sommes offert pour ce tournoi absurde est un carcan qui nous immobilise, une concrétion calcaire au bouge de notre déploiement silencieux. Bouge, bouge, bouge. Toujours le trirème de notre incompétence, et même de notre sauvagerie  tellement refoulée, régurgitée pourtant dans les mots. Notre inappétence à la sève même de la vie. Tentés d’y mettre une majuscule, nous la noyons dans notre vaine et dérisoire tentative d’opuscule. Nous sommes les maîtres de ce que nous mangeons. Point. Comme des arbres, nous nous recroquevillons dans notre enracinement, cachés comme l’aubier derrière l’écorce rugueuse et souvent habitée. Ah si seulement je savais rire. Si seulement nous étions libres de rire et par là-même d'enchanter ! 
La nature n'est-elle pas profuse en ses mains tendues ?
Une boutique à Villefranche-de-Conflent (Pyrénées-Orientales)
Que de ramures épaisses et vraies dans le cyprès de nos remords. Je serais libre de dire rats morts, si ce n’était pas une vanité de plus. Une boursouflure. Une sorte de codicille à mon insuffisance, à ma préférence de cachalot dans la Mare Nostrum de mes cent intérêts. 

Si et seulement si. Avec l’humour déteint le linge, et les couleurs criardes de la vérité s’amortissent ainsi. Les convocations du rire sont bifides. Je voudrais dire les comparaisons. Elles s’ameublissent en mottes de beurre sous un couvercle translucide. Méta amphores de mes impavides moiteurs, Nicéphore Niépce comme lors de la découverte tremblotante de la capture de la lumière. Comme reflet, certes, comme leçon, pas. 

Les mots sont là pour me piéger, avec leur évidence d’hermétiques. Ils ont une pâleur d’indigènes et un pastel de natifs.Car les fumigations sont partout présentes dans le désert hurlant. Et rien ne saura les remplacer plus vite que le feu sans fumée de nos intolérances gastriques.
« L’homme sait d’abord, ensuite il comprend, tertio il voit ou croit voir et brode. De même le vrai poète crée, puis comprend… parfois. » (1) Je ne suis pas sans doute un poète, car je ne comprends pas ce que j'écris, et si mal ce que d'autres ont dit, donné, partagé, au vent mauvais...



(1) H. Michaux – Misérable Miracle. La mescaline. Gallimard, 1972, p. 66

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